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Le blog de MARIE DUVAL écrivain-cinéaste passionnée par l'humain ET.. la botanique
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Absurdistan !!

Absurdistan !!

 

 

Cinq enfants dans la rue, la nuit à Paris : on en fait quoi ?

 

22.30, mercredi 8 septembre, boulevard Mortier dans le 20è arrondissement à Paris. Je suis au volant de ma voiture et m’apprête à rentrer chez moi quand une scène attire mon attention. Deux adultes entourés de cinq enfants squattent un pas de porte. Les enfants, affalés sur leurs valises, dorment ou jouent sur le trottoir. Une vieille dame parle avec eux. Je décide de m’arrêter et d’en savoir plus. La passante m’interpelle : « Ils n’ont pas d’endroit pour dormir, cinq enfants dans la rue, faut les aider. Moi j’suis retraitée j’peux pas faire grand-chose ».

Je comprends en parlant au père qui s’exprime dans un anglais approximatif qu’il s’agit d’une famille nigériane arrivée en France il y a trois jours. Deux parents et leurs cinq enfants de moins de 8 ans. La plus petite a 2 ans. Ils viennent d’Italie, ils y ont vécu plus de 10 ans. Ils cherchent à retourner dans leur pays, le Nigéria. Ils ont  eu une premier rendez vous à l’OFII. L’Office Français de l’Immigration et de l’intégration encadre, entre autres, les départs volontaires. L’OFII a tenté de joindre le 115, le Samu social, pour leur trouver un logement d’urgence. Sans succès.

Les deux premières nuits, ils ont été hébergés par un immigrant africain croisé à l’OFII. Ce soir, ils sont retournés devant chez lui mais il n’est pas là.

Cinq enfants…on ne peut pas les laisser dans la rue. Je décide de rappeler le 115…Au bout de vingt minutes d’attente, une première interlocutrice me renvoie vers un autre service. Encore trente minutes d’attente: mon appel est enfin pris en compte. « On doit d’abord leur poser quelques questions » : je me propose de jouer les intermédiaires. Je donne donc la liste des noms et dates de naissance de toute la famille. Je résume leurs parcours. « Sont-ils demandeurs d’asile ? » Non, ils veulent retourner dans leur pays.

« Pourquoi ont-ils quitté l’Italie ? ». Le père m’a conté une histoire obscure. Il aurait perdu son travail, une association catholique, des policiers auraient voulu lui prendre ses enfants. Ils ont fui…Je n’en sais pas plus, ne peux et ne veux pas en savoir plus. Le seul souci pour l’instant c’est que cinq enfants risquent de passer la nuit dans les rues de Paris.

 

Je résume leur histoire à mon interlocuteur du 115 qui me répète « ils n’auraient pas du quitter l’Italie, pourquoi ont-ils pris cette décision ? Ils auraient du partir pour le Nigéria d’Italie… » Je lui rappelle alors, en tentant de ne pas m’énerver, que je suis une simple passante, que je n’ai pas fait d’enquête poussée sur leur situation, que je cherche à leur trouver un logement d’urgence, mission en principe dévolue au 115.

Il va demander à « ses chefs ». Nouvelle attente de 10mn.

«Ça va pas être possible. On n’a plus de place dans notre foyer d’urgence et pour les places en hôtel, ils ne répondent pas aux critères. Ils auraient du faire une demande de retour en Italie »…D’accord, mais là on est à Paris, il est 23.30 (ça fait près d’une heure que je suis en ligne avec le 115), on fait quoi ?

Une solution d’urgence pour les mineurs ? « Non, désolé, y’a rien pour ce soir ». Je précise que je peux les emmener en voiture à Paris, en banlieue…« Vous pouvez toujours les déposer devant des urgences pédiatriques. Ils passeront la nuit là. »

Grande idée ! Les hôpitaux pédiatriques de Paris ne demandent que ça, un problème de plus à gérer !

 

23.40 : je me résous à leur trouver moi-même un hôtel. Pas facile. Essayer un peu de caser une famille d’immigrants africains de sept personnes à minuit dans un établissement parisien ?

Finalement ce sont deux hôtels qui les accueillent. La mère et trois petits d’un côté, le père avec les deux plus grands de l’autre.

 

Jeudi 9 septembre, 9.30 : la famille nigériane a un nouveau rendez-vous à l’OFII.

J’appelle le service de presse de l’OFII pour tenter de les aider. Réponse de la responsable de communication : « Tant que leur dossier de retour n’est pas complet chez nous on ne peut pas leur proposer de logement. On ne dispose pas de logement, on négocie des places avec le Samu social ». Le fameux 115 qui ne pouvait pas nous proposer d’abri hier soir...C’est mal parti !

11h du matin : je prends des nouvelles du père. Complètement déboussolé, il me dit que pour l’instant, l’OFII n’a pas de logement à lui proposer.

 Il va falloir trouver d’autres pistes. Je contacte la Cafda, France Terre d’Asile (des associations qui s’occupent des migrants). « On ne prend en charge que les demandeurs d’asile… ». La famille nigériane ne demande pas l’asile, est sur le départ mais son dossier n’est pas encore complet : elle n’entre pas dans une case.

Je comprends qu’il serait presque plus simple pour eux de simuler une demande d’asile pour trouver un hébergement d’urgence. On marche sur la tête. Une demande d’asile cela peut prendre des semaines, un mois, plusieurs mois de démarches aux frais de l’Etat français…Dans le cadre d’une aide au retour c’est seulement quelques jours avant de trouver un vol !

J’en reviens à mon interrogation première. Et les mineurs, on en fait quoi ? On ne peut pas laisser des enfants dans la rue. France Terre d’Asile me répond que pour les mineurs isolés, il existe une solution. Il faut attendre Place du Colonel Fabien, à quelques mètres du siège du Parti Communiste Français, à partir de 21h. Une maraude organisée par l’association prend les mineurs en charge et les emmène vers des hébergements d’urgence. Vous imaginez des enfants de 2 à 8 ans, traumatisés par un long voyage Bologne-Paris, trimballés depuis trois jours dans la capitale, que l’on arrache finalement à leurs parents pour un refuge inconnu ? 

 

Toutes les associations me répondent la même chose « pour leur situation, il n’y a vraiment que le 115 ». Retour donc à la case départ. Mais cette fois, c’est le service de presse du 115 que je contacte. « Je ne comprends pas ce que l’on vous a répondu hier, normalement on accueille ce genre de personnes, cela fait partie de nos missions. Il était sans doute trop tard pour trouver une chambre d’hôtel ». Certes, d’autant que j’ai mis une heure pour joindre quelqu’un….. « Alors pour ce soir ? ». « On va voir ce que l’on peut faire avec l’OFII mais je vous préviens, on ne fait pas de passe droit pour les journalistes ». (J’avais bien compris cela hier soir….)

 

17.30 : je rappelle le père, toujours à l’OFII. Finalement, on lui a trouvé une solution. Un hébergement à Noisy-le-Grand et un vol pour le Nigéria dans cinq jours ! Un peu de pression médiatique, cela peut aider finalement…Sans cela, je pense que la famille nigériane aurait pu attendre encore longtemps un hébergement et un vol de retour…Un comble dans un pays où le gouvernement encourage les départs volontaires et expulse à tours de bras !

 

 

 

 

 

 

 

 

Rédigé par Hérade Feist - ARTE TV